Dictionnaire des sentiments en improvisation théâtrale

par Caspar Schjelbred

minutes de lecture

Trois expressions des émotions dans le petit dictionnaire des sentiments en improvisation théâtrale.

« L’impro, c’est génial »

Oui, et pour qu’elle le soit, il n’y a pas que le côté artis­tique à gérer. Il y a aussi tous les senti­ments et émotions que l’on ressent person­nel­le­ment. Ce que les spec­ta­teurs perçoivent d’un spec­tacle d’impro théâ­trale n’est que la surface de tout ce qui se passe sur et en dehors de la scène.

En dessous bouillonne la vie secrète des improvisateurs.

Ce diction­naire des senti­ments met des mots dessus. Vous allez sans doute vous recon­naître dans plusieurs. Et peut-être enfin comprendre ce coéqui­pier qui parfois a l’air perdu…

diction­naire des sentiments

en improVISATION théâtrale

Les vingt-trois premiers mots ont été emprun­tés à John Koenig. Les autres sont de mon invention.

1

Sondère

Senti­ment quand on se rend compte que ses parte­naires de scène ont des idées tout aussi bonnes que les siennes.

2

Opia

L’intensité ambigüe de regar­der son parte­naire de scène dans les yeux et se sentir en même temps statut haut et statut bas.

3

Monachopsis

Impres­sion subtile, mais tenace, de ne pas être dans la bonne scène ou dans le bon spec­tacle et de secrè­te­ment proje­ter la faute sur les autres.

4

Énouement

État doux-amer de vole­ter au-dessus de la scène que l’on est en train de jouer et voir comment elle va se déve­lop­per, mais ne pas être en mesure de le commu­ni­quer à soi-même.

5

Vellichor

L’étrange nostal­gie ressen­tie quand le public donne un thème que l’on a joué maintes fois auparavant.

6

Rubatosis

La prise de conscience quelque peu déran­geante de la puis­sance de sa propre imagi­na­tion créatrice.

7

Kenopsia

Atmo­sphère angois­sante et morne d’une salle de répé­ti­tion habi­tuel­le­ment pleine d’improvisateurs, main­te­nant déserte et sans aucun bruit.

8

Mauerbauertraurigkeit

Désir inex­pli­cable de refu­ser des propo­si­tions parfai­te­ment valables, même des idées que l’on trouve géniales.

9

Jouska

Compul­sion de se jouer des scéna­rios hypo­thé­tiques dans la tête pendant l’improvisation.

10

Chrysalisme

La tran­quilli­té enve­lop­pée que l’on ressent hors-scène pendant une impro­vi­sa­tion en train d’échouer lamentablement.

11

Vemödalen

La frus­tra­tion de très bien mimer un objet sachant qu’il y a des milliers des mimes qui savent mieux le faire.

12

Anechdoche

L’abrutissement subi dans une scène où tout le monde parle, mais personne n’écoute.

13

Ellipsisme

La tris­tesse que l’on ne saura jamais ce que devien­dra son concept d’impro quand il sera joué par des incon­nus à l’avenir.

14

Kuebiko

État d’épuisement inspi­ré par des blagues niaises et des gags faciles.

15

Lacheisme

Le désir pervers d’avoir un blanc en plein milieu d’une scène et vivre le catas­trophe de ne pas savoir quoi dire ou faire.

16

Exulansis

La tendance à renon­cer à ses propres idées parce que les autres ne sont pas capables de les comprendre dans l’immédiat.

17

Adronitis

La frus­tra­tion due au temps qu’il faut pour établir la rela­tion entre les person­nages dans une scène.

18

Rückkehrunruhe

Le senti­ment après un stage quand on se rend compte que la seule chose qui reste est une photo de groupe sur Facebook.

19

Nodus tollens

La dure prise de conscience que l’intrigue du long form que l’on est en train de jouer n’a plus aucun sens.

20

Onisme

La frus­tra­tion d’être coin­cé dans un seul person­nage et dans une seule pers­pec­tive sur l’histoire.

21

Libérosis

Le désir de ne plus se soucier d’être bon sur scène.

22

Altschmerz

La lassi­tude irré­pa­rable devant les mêmes vieux clichés propo­sés pour la énième fois et exac­te­ment de la même manière que d’habitude.

23

Occhiolisme

La conscience aiguë que la pers­pec­tive du public sur ce qui se passe sur scène est meilleure que la sienne.

24

Kulturamaschrei

Le mélange de surprise et de fier­té d’avoir casé une réfé­rence cultu­relle connue par tout le monde, mais que personne ne voyait venir (y compris soi-même).

25

Ordlekir

La tenta­tion irré­sis­tible de faire un jeu de mots au détri­ment de la trame narrative.

26

Nonclusia

La suspi­cion de ne pas être inclus ni dans le jeu de la scène ni dans la construc­tion narrative.

27

Euphoramisè

La bouf­fée de joie que l’on ressent quand on entre en connexion avec un nouveau parte­naire de scène pour la première fois.

28

Lystikke

L’oscillation entre envie et pas envie d’aller sur scène quand c’est évident que l’impro en cours a besoin que quelqu’un entre.

29

Olskolaire

Le récon­fort que l’on éprouve quand le déve­lop­pe­ment d’une scène confirme toutes ses habi­tudes d’improvisateur.

30

Attingalin

L’excitation d’être sur scène et de ne pas savoir ce que l’on fait, mais le faire quand même.

31

Nopiaf

Le regret qui surgit quand on se rend compte que son intui­tion était parfaite, mais que c’est trop tard main­te­nant, une seconde après.

32

Allamerigo

Le besoin de prati­quer l’impro comme le font les améri­cains, notam­ment en exagé­rant son enthou­siasme et en utili­sant le même vocabulaire.

33

Paternostinguet

Le mélange satis­fai­sant de certi­tude morale et de recon­nais­sance quand on explique du haut de son expé­rience ce que l’impro devrait être et que tout le monde est d’accord.

34

Neuterinol

Le senti­ment de planer au-dessus de tous les débats sur l’impro parce qu’on comprend, accepte et pardonne tout.

Sources et liens

Le site web The Dictio­na­ry of Obscure Sorrows de John Koenig existe depuis 2006. Ce n’est qu’en 2021 que le livre a été publié. Comme quoi ça peut servir à persé­vé­rer – même si on est hanté par des chagrins obscurs.

Published: octobre 23, 2022

Last modified: octobre 10, 2023

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